Une narration sincère au cœur du chagrin familial

« Emmenez-moi », le second roman de Sarah Gysler, s’ouvre sur une quête de liberté maritime en fin d’année 2019, lorsqu’elle évoque ses rêves d’évasion en mer à bord d’un bateau bricolé, baptisé Dune. Toutefois, ces ambitions sont rapidement freinées par la réalité familiale : la maladie et le drame. Son père, rongé par des souffrances physiques, rassemble la famille pour une dernière confidences avant de prendre une décision fatale, allant jusqu’au suicide.

L’impact du suicide d’un proche sur la famille

Le portrait d’un père discret et vulnérable

Claude, surnommé affectueusement « La Vieillerie », est un homme passionné par la musique, notamment Renaud, mais dont la pudeur et la fragilité mentale le mènent à une saturation face au monde contemporain. Malgré tout, il représente une figure centrale dans la vie de sa fille Sarah.

Dans une interview, l’auteure confie : « J’ai été profondément touchée par son départ. Avant de mourir, il m’a demandé d’écrire un livre, ce qui m’a permis de ne pas sombrer complètement. »

Un récit équilibré entre humour et douleur

Le livre s’organise autour du moment crucial du départ du père, rythmé par un humour subtil qui empêche le texte de sombrer dans la morosité. La narratrice décrit avec justesse ce processus, notamment dans une partie centrale où des bénévoles d’Exit, une association de soutien au suicide, interviennent dans l’appartement d’Epalinges, laissant transparaître la tension et la résolution finale.

Les effets de cette crise sur la protagoniste

Pour Sarah Gysler, la perte du père est le début d’une longue période de dépression, débutée en 2020. Elle y fait face par diverses activités insolites, allant de l’observation de documentaires sur des serial killers à la culture d’une jungle urbaine ou encore la création d’un tableau Excel d’histoire cinématographique mondiale, voire en jouant les « croque-mortes » durant quelques semaines.

Elle raconte : « Je me suis dit que cette experience pourrait être mon seul regret, si je ne préparais pas moi-même le corps de mon père. C’est une responsabilité extrêmement difficile à accepter.»

Le soutien familial et l’irruption d’animaux apaisants

Malgré la descente dans la mélancolie, la famille, les amis et un matou nommé Miracle, tombé du ciel, jouent un rôle de réconfort. La métaphorique cour de l’Avenir à Vevey devient finalement le lieu de réunion pour des moments de kétan et de partage autour du karaoké, transformé en acte de catharsis collective.

Une écriture résolument optimiste après quatre ans de gestation

La création du roman a duré quatre ans, dans un contexte de solitude et de doutes, avant de devenir une aventure lumineuse. Sarah Gysler explique : « Je voulais faire un hommage, pas une histoire triste. Ce n’est-pas seulement une ré flexion sur le suicide assisté, mais aussi une déclaration d’amour face à l’impuissance.»

Une évolution littéraire et personnelle

Autrefois perçue comme une « écrivaine-voyageuse », Sarah Gysler s’inscrit maintenant comme une auteure engagée, sincère et touchante. « Emmenez-moi » laisse une trace durable, bouleversant le lecteur tout en lui donnant envie d’étreindre ses proches et de s’ouvrir aux moments simples, comme ceux passés en karaoké.

Daniel Vuataz/ld

Sarah Gysler, « Emmenez-moi », Aux Éditions des Équateurs, Août 2025.

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