Contexte des célébrations à Dharamsala
Cet été, le dalaï-lama a participé à plusieurs cérémonies publiques organisées pour son anniversaire à Dharamsala, en Inde, où il réside.
Les festivités ont été diffusées sur des écrans géants installés dans des zones de fans improvisées, entre parkings et monastères.
Le leader spirituel apparaissait tout sourire et le cérémonial restait intact, suivi avec ferveur par des milliers de fidèles. À chacun de ses déplacements, il était entouré de plusieurs moines, parfois installé sur une petite voiturette.
Derrière l’enthousiasme collectif demeure toutefois une question qui obsède les Tibétains: qui le successorera?
L’ESPOIR DES NONNES
Parmi les fidèles présents, Tenzin, une nonne bouddhiste de 29 ans, crâne rasé et kesa rouge, incarne une nouvelle génération. Elle vit dans le nord de l’Inde et a passé deux années aux États‑Unis grâce à une bourse offerte par le dalaï-lama. Son ambition est d’obtenir le titre de Guéshé, l’équivalent tibétain d’un doctorat en philosophie bouddhiste, une reconnaissance jusque‑là majoritairement masculine.
« Le dalaï-lama nous a ouvert la voie à nous les femmes. Je veux enseigner au plus haut niveau », affirme-t-elle dans Mise au point. Autour d’elle, un mélange de modernité et de conservatisme religieux: des nonnes avec des smartphones, mais aussi des fillettes de cinq ans souvent placées au couvent par des familles défavorisées. « Nous mesurons tous l’importance du dalaï-lama. Il est connu, respecté et soutenu dans le monde entier », poursuit Tenzin. « Nous sommes toutes inquiètes de le perdre. Il est crucial pour l’avenir du Tibet. »
La réincarnation, une bataille à venir
Lors des cérémonies marquant les 90 ans, le dalaï-lama a confirmé l’existence d’un 15e dalaï-lama, tout en laissant planer le doute sur la nécessité même de maintenir l’institution. Reste à définir le processus qui désignera son successeur.
Selon lui, ce successeur serait choisi en dehors de la Chine, sans intervention du Parti communiste. Le 14e dalaï-lama, né en 1935, avait été désigné à l’âge de quatre ans comme réincarnation de son prédécesseur.
Pékin veut contrôler la réincarnation
La réaction chinoise n’a pas tardé. Selon Mao Ning, porte‑parole du ministère des Affaires étrangères, la réincarnation de figures bouddhistes telles que le dalaï-lama et le Panchen‑lama devrait être « déterminée par tirage au sort avec une urne d’or », puis approuvée par le gouvernement central.
Le Tibet est sous contrôle du régime communiste depuis les années 50 et le dalaï-lama a fui le territoire en 1959. Prix Nobel de la paix et figure internationale, il milite pour un Tibet libre; pour Pékin, il demeure une personne considérée comme séparatiste dangereux. Le régime souhaite donc contrôler le choix du prochain dalaï-lama, tandis que les Tibétains en exil revendiquent la légitimité de désigner la prochaine réincarnation.
La position de la Suisse
Interrogé par la RTS sur la position de la Suisse face à ce conflit autour de la réincarnation, le DFAE explique que, pour la Suisse, il s’agit d’une question relevant de la sphère religieuse. Toute succession doit pouvoir se dérouler librement, dans le respect des traditions et des droits de l’homme.
Cette position est jugée trop prudente par l’ONG Voices, ancienne Société pour les peuples menacés. « Cette déclaration est beaucoup trop générale et reste insuffisante », affirme l’association. « Le DFAE présente la succession du dalaï-lama comme une question exclusivement religieuse. C’est faux. La Chine revendique un contrôle politique sur ce processus. Il manque une affirmation claire que cette décision appartient à la communauté tibétaine elle-même, et non à l’État chinois ».
Selina Morell, porte‑parole de l’association, souligne en outre que « la Suisse est actuellement en négociation pour moderniser son accord de libre‑échange bilatéral avec la Chine ». « Nous craignons que la Suisse ne veuille pas brusquer les autorités chinoises et risque ainsi de laisser tomber la communauté tibétaine », précise-t-elle.
Contacté, le gouvernement chinois, via son ambassade à Berne, n’a pas souhaité commenter.
François Ruchti